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![]() Bertrand Cantat, chanteur du groupe NOIR DÉSIR, nous reçoit à Bordeaux. Il nous attend à l'aéroport et nous emmène manger dans une des rares brasseries ouvertes ce jour de Noël. Il choisit des lasagnes. Pour quelqu'un qui n'a pas faim…
C'est un drôle de bistrot, le patron s'occupe de l'association solidarité des travailleurs immigrés… Un patron de bistrot ! J'aime l'idée d'un endroit hors de chez soi que l'on investit peu à peu, le rapport de découverte avec les éléments extérieurs, les clients d'un bar par exemple. Malheureusement comme tous les lieux sociaux, il y a le risque de s'y embourber. Comment se passe la tournée ? 6 jours sur 7. On doit rester plus longtemps dans chaque ville puisqu'on exige de passer dans les petites salles. On est obligé de faire un concert supplémentaire à chaque coup. Vous vous entendez bien ? Oui. Sur une longue tournée où les rencontres et les histoires sont aussi fréquentes qu'éphémères, c'est toujours étrange de revenir au sein de la caravane avec laquelle on peut soudain se sentir complètement étranger. Chaque expérience est singulière et propre à chaque membre du groupe et c'est toujours une drôle d'histoire de réintégrer le collectif. L'astuce c'est de se perdre de vue… Ça ne se calcule pas. Que penses tu du clip de Tostaky ? Il est totalement investi de son propos. Mais immédiatement j'ai eu droit à une marée de protestations à propos de l'omniprésence de mon visage sur les deux tiers de l'image du clip. Heureusement l'idée venait d'Henri Jean Debon qui a notre entière confiance. Nous aurions refusé l'idée si elle était venue de quelqu'un d'autre. On est obligé de faire très attention aux envies pressantes de mettre en avant le chanteur. Dans les groupes il y a des statuts, des places qui ne sont jamais celles qu'on a choisies. Il n'y a qu'à voir les géométries scéniques ! Le batteur derrière, le chanteur au milieu et les guitaristes sur les côtés… Ce sont à la fois des codes, des repères de départ qui peuvent rassurer, mais qui très vite nourrissent des frustrations et des excès. N'est il pas légitime qu'on demande au chanteur de parler pour le groupe puisque c'est lui qui tient le micro ? Encore une fois cette légitimité n'a pour fondement que ces fameux codes ! On ne peut parler de légitimité sans définir autre chose et il y a des raisons tout aussi importantes comme la créativité et l'argent. Dans ce groupe on a partagé jusqu'à présent toues les rentrées financières en 4. Mes droits d'auteur y compris. Je ne me pose pas la question " légitime ou pas ? ". Des fois ça m'énerve, d'autres fois je trouve ça fantastique. On essaye de maintenir un équilibre. La place de chacun dans la créativité est complètement libre, elle est ouverte, ça veut dire que 'importe qui, dans l'absolu peut se pointer avec un morceau fini ou presque puisque de toute façon ça repasse dans le giron du groupe. Il n'y a pas de place réservée à l'avance. Pour l'écriture il n'a jamais été marqué quelque part qu'il n'y a que moi qui ait le droit d'écrire. J'ai toujours maintenu la porte grande ouverte. Je me retrouve très souvent à composer. Bon, c'est comme ça. Tu m'avais dit qu'au fil de la tournée, tu t'étais rendu compte que vous aviez gommé l'aspect mélodique d'une partie des morceaux. Oui, ça m'est apparu lors des concerts où les rapports deviennent beaucoup plus violents, fracassés, comme une course en avant. Il y a beaucoup d'aspects " course en avant " où forcément la mélodie n'est plus l'aspect dominant. Mais pourquoi ? Parce que c'est l'urgence qui remonte à la surface, l'urgence de l'air du temps et surtout celle qu'on avait à quinze ans, à vingt ans et qu'on trouve encore. Il n'y a pas besoin de la chercher, elle vient à nous, et je suis ravi de comprendre que ce n'est pas un état d'adolescent mais quelque chose que l'on garde en soi, que l'on entretient. Dans l'évolution de notre groupe, qui a d'abord été un groupe adolescent, c'est curieux d'être aujourd'hui à trente ans confronté à la même urgence. Tu n'as jamais eu envie d'écrire autre chose que des chansons, un livre ? J'en ai beaucoup parlé, maintenant je ferme ma gueule ! C'est excessivement difficile. Il y a beaucoup de gens qui ont du talent, des choses à dire dans une forme directement littéraire alors que moi ce n'est pas le cas. Pour l'instant j'ai beaucoup de mal à détacher l'expression musicale et l'écriture. Ça viendra probablement mais il faudra que je sois dans des conditions totalement différentes ; ou alors je triche et je me dis que j'ai besoin de conditions particulières, par paresse. J'ai peur de la solitude c'est peut-être aussi pour ça que je ne le fais pas. Je deviens fou en quelques heures d'écriture, je comprends plus rien, je suis dans ce truc, cette sorte de spirale qui s'auto-génère… Effectivement on doit pouvoir y rentrer sans en sortir. Mais c'est de l'enthousiasme, de la jubilation ou quoi ? Ah c'est fou ! Je suis transi même pour écrire trois mots de chanson. Mais c'est vraiment excitant. Cela dit si je veux me lancer dans autre chose il va falloir que j'arrête d'en faire un plat à chaque fois que je prends un stylo ! Il faut que l'écriture soit une respiration, quelque chose de naturel sinon ça vaut pas le coup. Pour l'instant, ça me fait terriblement peur… Je n'ai pas de sujet. Et la lecture ? J'ai pas beaucoup le temps, c'est par période, j'ai un rapport un boulimique avec les livres, en tant qu'objets. J'ai plus de bouquins qu'il ne m'est possible d'en lire. Tu vois j'emmène en tournée un grand sac de bouquins et en studio, pendant l'enregistrement de Tostaky, j'avais une malle avec une trentaine de livres ! J'ai eu le temps d'en lire deux ou trois. J'ai relu Le pont de Londres de Céline, un livre de Cendrars et quelques magazines comme le Monde diplomatique. Mais c'est dur de se détacher des ambiances pour lire. C'est pas en me retournant simplement sur le côté droit avec mon bouquin que j'échappe à ce que je suis en train de faire. Tu cites Céline, on ne retrouve pas chez toi ce que l'on pourrait appeler le " diffamatoire français ". Tu n'as jamais eu envie d'écrire une chanson particulièrement cruelle et méchante ? Si bien des fois, j'ai un côté très méchant qu'on retrouve d'ailleurs dans quelques chansons mais ce ne sont que des germes, jamais une véritable diffamation. C'est d'abord le style de Céline que j'aime beaucoup, j'apprécie cette verve monstrueuse, cette lave qui coule sans fin, sans limites. Par contre, ce qu'il raconte, et lui même le disait, me paraît assez incontrôlé. Et parfois même, c'est franchement n'importe quoi. C'est comme une auto-jouissance de la diffamation, du verbe, du flot. Céline décrivant une tasse de café ou une personne qui se casse la gueule, c'est déjà l'apocalypse. Moi en tout cas ça m'aide à sortir de certains blocages. Cette verve là, avec son côté populaire, me ravit complètement. Tes personnages féminins sont toujours très solitaires et ambigus. Qui est Marlène ? C'est Marlène Dietrich. Sans tomber dans l'excès et l'admiration fanatique, j'apprécie sa liberté, sa droiture, la femme qui se tient debout. J'apprécie ça chez les femmes, chez les hommes aussi d'ailleurs, mais chez elle, je trouve ça encore plus remarquable, pourquoi ? Je ne sais pas. C'est dans les faits. Tout ce qu'elle a pu vivre n'est peut-être pas à avaler, mais c'était un esprit indépendant, elle n'a pas eu peur de faire des choix. Il y a aussi chez elle des stéréotypes de la femme, on raconte qu'elle aimait voir se battre Hemingway et Orson Wells. Elle courait comme une folle après Gabin et on parle aussi d'une correspondance avec de Gaulle, de toute façon personne n'est à prendre en bloc. Il y a cette image de Marlène accompagnant les gens vers la mort qui domine. Je me demande parfois si elle n'aimait pas la guerre ? Non, en fin de compte, je ne crois pas, elle devait prendre la guerre comme une fatalité. Ce n'était certainement pas une pacifiste, mais elle agissait clairement en se donnant de A à Z, ce qui n'est pas rien. Elle accompagnait les gens à l'abattoir, sans pour autant cautionner la guerre, comme un don véritable de soi, enfin je crois. L'ambiguïté subsiste, c'est ce qui est passionnant. Et Alice C'est déjà un personnage plus imaginaire…hmm. Et le personnage de Johnny ? Celui là ce n'est pas moi qui l'ai écrit mais un groupe que j'aimais beaucoup et qui s'appelait les Nus. Je crois que l'on procède de la même manière, en prenant le côté totalement symbolique ; c'est absolument personne Johnny, il représente seulement le symbole dans sa toute puissance. Ce que j'ai aimé dans ces paroles, c'est cette rage, cet écho du parti unique qui revient sans cesse dans la chanson. Johnny, c'est l'anarchiste et suis plutôt d'accord avec ça, là je suis d'accord ! Mais le parti unique tel qu'on l'a connu, alors là, non ! Jouer avec le symbole pur, ça devient des personnages symboliques d'une époque. Johnny c'est aussi la tentation terroriste, la tentation extrémiste, on épouse la cause jusqu'au bout. La chanson témoigne d'une époque et d'un type de révolte qui, à mon avis, doit être abandonné pour ses erreurs mais surtout pas pour cette énergie. C'est drôle ce discours toujours informel sur la politique. Nous n'avons pas de discours formel, ça n'a d'ailleurs jamais été notre propos. Mais il n'empêche que j'adore le rap bien que nous soyons très éloignés de leur parti pris dogmatique qui est sûrement une profonde source d'énergie. En règle générale, les chansons sont écrites avant la musique ou après ? La plupart sont écrites après. Les lignes sont chantées en " yaourt ", mais j'ai renoncé à la technique qui consiste à puiser dans les sonorités du yaourt pour écrire des paroles, système qui ne s'applique en aucun cas à une autre langue que l'anglais. Le yaourt, c'est de la musique. Si on l'utilise trop longtemps sur un morceau, on l'enferme au point de ne plus pouvoir y écrire aucun texte. Certains morceaux permettent d'en sortir alors que d'autres restent sur le carreau. Pour raccorder un texte à la musique, on passe par tout un tas de circonvolutions. Et là, je n'ai toujours pas de méthode. Et cette forme de racisme musical qui consiste à dire que l'espagnol n'est qu'une langue pour kermesse World music ? Totalement débile. Si un groupe comme la Mano trouve un angle pour le faire, qu'il fouille dans une langue pour en extraire le plus intéressant, finalement c'est ça le plus important. Putain pourquoi est-ce qu'ils se gêneraient ? Je ne supporte pas les petits cloisonnements et c'est de pire en pire. Les choses fortes n'ont pas de frontières. La curiosité c'est essentiel, pas de fausses barrières. Ceux qui après font semblant, les stéréotypes de l'espagnolette, qu'ils commencent la kermesse sans moi. Quand on voit les groupes qui sont sortis à Paris, durant les années 80, celles du rock alternatif, on se dit que vous ne pouviez pas être parisiens. Au moment de notre premier disque et de notre signature chez Barclay, on sortait du cadre alternatif. Notre côté plus " soft " empêchait les gens de deviner quel type d'orientation ou quel type d'engagement politique nous avions. C'était pas net, enfin pour moi ça l'était, mais cela ne l'était pas obligatoirement pour tout le groupe. Oui c'est vrai, on se sentait à côté, côté de tout. Tu n'a jamais habité à Paris ? Par vraiment, par contre je venais en vacances chez mon oncle qui tenait un bistrot en face de la dernière chaîne Citroën. Tous les soirs, les travailleurs immigrés rappliquaient pour boire un coup. Avec mon cousin, on slalomait entre les ouvriers à la sortie de l'usine. Ah bon ? comment ? Ben en patin à roulettes, tiens !
Propos recueillis par Homas Pilon, Emmanuel Picault
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