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Prévision d'un album live, "Dies Irae", "L'indic" n°11, octobre 1992, par J.C Panek

1993, année Noir Dés'. Un succès populaire sans précédent. Une tournée à n'en plus finir. Comme s'il fallait combler un manque ! Histoire de clore l'épopée fantastique, l'équipée sauvage sort son premier album live. Une page se tourne tandis qu'un nouvel ange passe.

 

C'est la première fois que vous sortez un disque live. D'où vient cette idée et cette volonté ? Est-ce une façon de récompenser le public qui vous a suivi pendant cette très longue tournée ?

Bertrand: Évidemment. On fait quand même de la scène depuis dix ans. Dix ans que le public est de plus en plus infernal ! Il nous a tellement donné ! Sortir un live, c'est comme sortir un disque. Tu écoutes d'abord ce que tu as fait. En l'occurrence, tu n'as pas à le créer puisque c'est déjà sur bande mais tu dois aussi te livrer à un travail d'écoute pour savoir si ça vaut le coup ou non de l'éditer. L'histoire, c'est de laisser du temps s'écouler après la tournée puis réécouter ce dont tu disposes pour savoir si ça te plaît vraiment. On ne s'est pas dit, il y a un an et demi, qu'il fallait sortir un live juste après Tostaky puis faire une tournée pour récompenser le public... Il n'y a pas eu de projet, il s'agissait juste de savoir si ça valait le coup. Et après avoir écouté les bandes, on s'est dit qu'il était nécessaire de le faire.


Denis:
Il fallait aussi qu'on soit surpris, qu'on trouve autre chose que ce que les gens viennent voir en concert et qu'on soit capables de discerner habilement ce qu'on désirait faire partager dans tout ce qu'on possédait.

Ce double album live ira sortir à prix modéré ?

Bertrand:Il ne sera pas vendu au prix normal, c'est vrai. On ne peut pas pratiquer un prix aussi canon qu'on le voudrait. On ne peut malheureusement pas encore vendre un double album pour le prix d'un simple. Mais son prix de vente se situera en dessous de 200 balles alors que, normalement, c'est largement au-dessus. Sortir 230 balles pour un disque, je trouve cela excessif. On tenait vraiment à respecter ce principe car, en fait, on a été amené à sortir ce double par la force des choses. A force d'écouter ce dont on disposait, on s'est rendu compte qu'il était nécessaire que tel morceau y figure, puis un autre... Au bout du compte, on est arrivé à un certain nombre de morceaux que seul un double album pouvait contenir. Pendant la tournée, on a rien écouté de ce qu'on a fait. On a un peu laissé filer les choses. C'est pour cette raison qu'on a travaillé un bon moment pour tout réécouter. Il y a deux choses : la plupart des concerts ont été directement enregistrés sur une petite console DAT et cinq autres concerts sur un multi-pistes. Mais la grande majorité des morceaux qui figurent sur le disque sont des versions multi-pistes. Ils ont été remixés mais surtout pas trafiqués. Et puis, avec la meilleure volonté du monde, on ne pouvait pas sortir tels quels des morceaux DAT. Et contrairement à ce qu'on peut penser, il y a énormément de travail à fournir pour pouvoir conserver l'aspect brut de nos concerts.

En général, les groupes qui sortent un disque live veulent tourner une page dans leur carrière. Est-ce votre cas ?

Bertrand:C'est complètement vrai mais on n'y avait pas pensé (rires).
(Serge Teyssot-Gay) Ce n'était pas la raison première de la sortie du live. C'est bizarre d'enregistrer et de remixer des morceaux qui ont figuré sur d'anciens disques... Inévitablement, tu te dis que c'est la fin de quelque chose.


Denis: Entre l'enregistrement de l'album et la tournée qui a été assez balèze, dans tous les sens du terme, on n'a pas eu l'impression que ça allait s'arrêter et qu'on était à la fin d'un cycle. Le fait de se replonger dans ces morceaux a été un peu dur psychologiquement. C'est comme lorsque tu feuillettes un album photo. Tu reviens sur des choses qui font partie du passé. Et ici, il fallait trouver une nouvelle vie à des morceaux qui en avaient déjà une. C'est une sensation plutôt étrange.


Bertrand:C'est bizarre par rapport à un album où tu crées et que tu vas poser sur des bandes. Là, tu travailles sur quelque chose du passé. Même si c'est un passé proche, c'est quand même le passé.

Vous parlez de cycle qui s'arrête. Qu'entendez-vous par cycle ?

Il y a eu plein de bons moments et des choses que tu as envie de voir évoluer ou changer sans pour autant connaître les bases de ces évolutions. Car pour qu'elles soient vraiment profondes, intérieures et naturelles, il faut laisser passer du temps pour qu'elles mûrissent. Je pense que tout le monde a envie de changer. Au bout du compte, c'est très naturel et nécessaire de vouloir tourner une page. Tout ne doit pas nécessairement se tourner (rires)... Ce qui est certain, c'est que nous n'avons pas du tout envie de faire dans deux mois un disque qui ressemblera exactement au précédent puis de faire une tournée dans les mêmes lieux. Ça ne veut rien dire. Il faut donc trouver des moyens à l'intérieur de soi-même. Et chacun d'entre nous doit trouver une manière de s'investir, de faire des choses vraies et ne surtout pas reproduire des schémas. Ça ne nous intéresse pas. Régulièrement, maintenant de façon plus marquée et plus symbolique avec ce live, il est vrai que tu clos un cycle. Mais c'est également le cas avec les disques et avec une tournée qui s'achève. Notre truc à nous, c'est de dire : maintenant, on y voit un petit peu plus clair, on réfléchit. C'est le moment où tu épures, où tu grattes le superflu parce qu'il y en a ! C'est le milieu où le superflu est le plus présent.


Denis: Avant de pouvoir remplir autre chose, il faut te vider et se laver de tout ce qui s'est passé. Il faut que tout appartienne au passé pour pouvoir aller de l'avant. Tu dois en avoir un souvenir mais pas une marque. Il faut éliminer les choses que tu vis malgré toi.

De quel superflu parlez-vous ?

Bertrand: Le superflu du monde du spectacle à qui on porte un amour très modéré (rires). Il y a des structures qui sont nécessaires et sur lesquelles on ne va pas cracher systématiquement et n'importe comment. Une tournée, c'est quelque chose d'extraordinaire sauf quand tu joues tous les jours. Il faut faire attention au côté mécanique. On s'est déjà expliqué mille fois là-dessus. N'importe qui, confronté au problème, s'en rendra compte. Mais n'importe qui ne flippera pas autant qu'on peut flipper. Il y a des gens qui n'en ont rien à foutre. Ils se contentent de faire tourner la machine et d'encaisser au bout de la chaîne. Mais il faut faire gaffe car un jour, tu n'as plus l'envie, celle qui, nous, nous fait avancer. Mais l'énergie qu'on a avec le public et le succès amènent aussi leur part de superficialité et de rapports sans profondeur. Ce ne sont pas des valeurs qui peuvent te faire vivre tout le temps. Il faut savoir gérer ton énergie, tes désirs, tes envies. Toujours !

Dans ce numéro, Théo Hakola nous disait que vous aviez la chance de faire évoluer les morceaux parce que vous tournez beaucoup. Justement, avec ce live, n'avez-vous pas l'impression d'avoir figé une fois pour toute certains de ces morceaux ?

Effectivement, on y a longuement pensé. Figer un morceau ou prendre des photos, c'est la même chose. Cela relève un peu du côté mystique. On fige une bonne fois pour toute dans le temps. C'est faire une photographie du moment mais c'est aussi un état de fait que tu peux toujours dépasser. Ce n'est pas un mal de le symboliser car au bout du compte, l'envie de tourner la page peut être totale. Ils auront toujours un moyen de revivre si on veut ou si on doit. Au bout du compte, il y a énormément de choses qui s'imposent d'elles-mêmes parce que tu les sens. Si ce n'est pas le cas, tu déconnes. Si tu es quelqu'un d'un peu vrai, tu réalises ton travail avec de vraies impulsions. Et s'il y a des morceaux qu'on aura envie de jouer, on le fera à nouveau et différemment, car toute notre expérience jouera en notre faveur. Il y aura ce qu'on a écouté entre temps, ce qu'on aura fait... ou le fait que Denis n'ait plus de bras (rires).


Denis: C'est vrai que je l'ai cassé il y a quelques années mais maintenant je fais gaffe (rires). Tu sais, on en parlait depuis longtemps de cet album live. A vrai dire, on ne savait pas si on en était vraiment capable car, lorsque tu en parles souvent, tu appréhendes le résultat. Tu es tellement dedans que tu peux le rater. Et j'ai eu une bonne surprise à la sortie du studio. J'étais content de tous les mixes même si je n'étais pas explosé. Je le trouvais bien I Un point c'est tout ! Et quand on a reçu les test-pressings, je me suis senti obligé de l'écouter en entier. Honnêtement, je n'en avais vraiment pas envie. Je me le suis passé de bout en bout et là, j'étais renversé. J'étais vraiment heureux de ce qui s'en dégageait (rires).


Serge: Pour résumer, je crois qu'il arrive un moment où tu as simplement envie d'écouter ce que tu fais en concert. Il fallait saisir l'occasion.

Les résultats des ventes de "Tostaky" ont été très bons, très rapidement. Entre nous, envisagiez vous un tel succès et une tournée aussi longue ?

Bertrand: En ce qui concerne la tournée, on ne voulait pas faire autant de dates. Surtout en France ! C'est vrai. Au grand maximum, il ne devait en avoir qu'une cinquantaine. Au départ, on voulait garder du temps et de l'énergie pour d'autres projets. Mais il y a eu comme une sorte d'appel et de demande. Pas au sens commercial du terme. Au départ, nous étions tous d'accord. On ne voulait absolument pas jouer dans les grandes salles. Au lieu de faire dix dates à Paris, on aurait pu se contenter de trois Zéniths. L'affaire était réglée ! Et dans les grandes villes de province, l'histoire s'est répétée de la même façon. Mais le fait de multiplier les dates comme on l'a fait était une chose à laquelle on tenait pour satisfaire tout le monde. Dans ces conditions, tu arrives aussi au bout d'une logique qui consiste à enchaîner concert sur concert pour satisfaire les gens et respecter ta logique de départ. Je ne te cache pas que c'est très difficile.


Denis: Les festivals m'ont fait flipper. Je pensais qu'ils nous décompresseraient d'avoir uniquement fait des petites salles en amenant un public qui n'avait pas eu l'occasion de nous voir auparavant. Mais en fait, il y avait un monde dingue ! Et ça m'a fait peur ! je pense en particulier aux 35000 personnes des Eurockéennes.

Je n'ai pas trouvé que le gigantisme correspondait réellement à ce que vous étes capable de faire passer. Comment conciliez-vous les salles moyennes et ces festivals ?

Bertrand: Il y avait un renvoi d'énergie plus global, très étrange et très violent à la fois. Beaucoup plus anonyme même si, dans un club, tu ne t'adresses pas seulement à une seule personne ! Je crois que tu essayes de compenser ce genre de situation d'une manière naturelle même si, dans le même temps, tu es tenu d'ajouter des forces que tu inventes sur l'instant. On en arrive à des situations qui sont plus outrancières. Le statisme n'est quasiment pas permis alors que, dans des petits lieux, tu peux te permettre de faire passer les choses de façon plus nuancée et plus humaine.
Denis: La pression arrive brusquement sur tes épaules. Et tu n'as pas le choix, tu es obligé d'y faire face. Pour utiliser une image, cela me fait penser au grand huit. Tu montes doucement puis tu redescends violemment... Sans arrêt !


Serge: Disons que sur une grande scène, on est obligé de faire dix fois le tour de la scène avant de prendre ses repères. " Mais c'est si grand que ça . !" (rires). Mais il est arrivé qu'on ait le sentiment inverse. A la Fête de l'Huma, on est sorti du concert en se disant qu'on avait eu l'impression d'avoir joué dans un club. C'est marrant !


Bertrand: Mais je crois qu'on préfère toujours les petites salles pour la scène et pour le public. Ce qui ne m'empêche pas de penser qu'il peut aussi se produire des choses vraies et fortes autrement. Dès ce moment, il est nécessaire de jeter d'autres forces. Il faut, sans pervertir ton histoire, t'accomplir différemment.

Y êtes-vous néanmoins aussi à l'aise ?

C'est un espace où tu dois te retrouver et te faire néanmoins plaisir. On y arrive car on a de l'expérience. Cela joue un rôle au vrai sens du terme. De toute façon, tu apprends à apprivoiser la scène, ce qu'on a pas forcément accompli avec l'instrument télévisuel. Car on est quand même plus à l'aise sur une grande scène que dans des studios de télé.


Denis: Jouer sur une grande scène équivaut finalement à jouer au milieu d'une petite salle. Tu es là, au milieu, et tu baignes dans les sons.


Bertrand:
Moi, je préfère le son d'un club. Mais je crois qu'il faut lever une image qui consiste à dire que les groupes qui arrivent sur une grande scène ne s'y retrouvent que pour faire de la promo. Nous en tout cas, on ne s'y est jamais abaissé. Et si on ne devait faire que ça, je ne comprendrais plus. C'est trop épuisant ! Surtout si tu veux le faire en comblant ces espèces de manques qui s'inscrivent d'emblée par rapport à des salles plus intimes. Je n'ai jamais pensé que c'était vraiment normal d'avoir 35 000 personnes devant une même scène.


Serge: Lorsqu'on a fini la tournée française, on s'est arrêté deux semaines avant de partir en Europe où on s'est contenté de ne jouer que dans des bars et des petits clubs. Et là, on a eu la confirmation de ce qu'on raconte. On était arrivé à un tel point qu'on commençait à sombrer dans l'automatisme. Les gros concerts avaient beau être très chauds, on y était plus très à l'aise. On a fini la tournée française en se disant qu'on perdait des choses même si on continuait à s'éclater ! Cela restait génial mais il y avait une espèce de frustration. C'est dans ce contexte qu'on a décidé de se balader un mois et demi en Europe où on a tous avancé, découvert d'autres sensations, redécouvert des morceaux... Sur la tournée française, il y avait par exemple des morceaux qu'il nous était devenu impossible de jouer. Alors que sur la tournée européenne, c'était le contraire. Et vice versa. C'était un vrai chamboulement et ça nous a fait un grand bien.

Abordiez-vous dans le même état d'esprit un festival comme les Eurockéennes et la Foire Aux Vins de Colmar ?

Bertrand:A Colmar, on pensait surtout picoler mais en fait, on a autant picolé à Belfort (rires).


Denis: Voire même plus ! (rires)

Bertrand: Si je te dis qu'on y est allé pour le Gavurtz ! (rires) Quand on accepte un concert et qu'on monte sur scène, c'est toujours pour se faire plaisir et envoyer la sauce. Nous, on le fait à fond et ce n'est pas parce qu'il y a la présence de tel ou tel journaliste qu'on va se donner encore plus. Ça, non et non ! Et jamais ! C'est vrai qu'on s'est posé la question par rapport au contexte. En fait, tu peux toujours arriver à remettre les pendules à l'heure. Le public d'une Foire aux Vins est un public comme un autre. Seul le contexte change. Mais on n'avait pas d'accords spirituels avec les vins de Colmar. Quoique ! (rires)


Frédéric:
On se pose toujours la question de savoir si on va faire un bon concert. On essaye plutôt d'en faire un bon qu'un très mauvais que ce soit pour 100 ou 35 000 personnes.

De la même manière qu'on pouvait parler de Beatlemania, toutes proportions gardées, il y a eu une espèce d'engouement du public qui frisait la Tostakymania. Comment expliquez-vous ce phénomène et pensiez-vous être LE groupe de rock français que tout le monde attendait ?

Bertrand:  Je crois qu'il ne faut pas voir les choses comme ça. Nous n'étions pas le groupe que tout le monde attendait. Ces histoires relèvent de l'éphémère. Nous, on trouve fantastique ce qui nous arrive mais à condition que ce soit constructif et intelligent. Tout le monde a le droit d'assister à nos concerts, on ne fait pas de sélection à l'entrée mais il y a peut-être des gens avec qui on a rien à voir. Il faut se le dire et on en a pris conscience. Certains viennent juste pour foutre le bordel. Je pense à des skins même si on a la chance d'en supporter très très peu. Dès qu'il se passe un truc carton, il y a forcément des cons. Moi, je ne les supporte pas mais, en même temps, on ne va pas faire de ségrégation.

C'est le problème de devenir un groupe "grand public" ?

On se heurte inévitablement au problème. On peut arriver à la perte du sens et de la vraie ligne. Au départ, on n'était pas là pour faire n'importe quoi et rechercher à tout prix le succès. Quand il se présente et qu'il devient impressionnant, les questions se posent. Et je peux te dire que c'est un vrai travail. Il faut continuer à se les poser pour éviter certains écueils et continuer pour que ce succès ne soit dû qu'à une démarche vraie, pensée et intérieure. Même avec cette folie qui nous entoure, on fait attention aux excès qui en découlent mais on ne peut pas faire autrement que se réjouir quand même !


Denis:
On a toujours fait preuve de vigilance et on a eu de la chance. La clef, c'est de ne jamais laisser la promo s'emballer. En quinze jours, tu peux être complètement dépassé. Si par hasard, la boîte de disques flaire le gros coup et qu'elle veut enfoncer le clou, on peut tuer le groupe.


Bertrand: Arrive ce moment où il y a un phénomène où tout le monde se met à rebondir. Si on laisse tout faire et "optimiser", il faut vraiment faire très attention ! Non pas à cause des gens mais par rapport à des phénomènes de démultiplication promotionnelle. Mais ce n'est pas pour autant qu'on cherche à se cacher derrière un rideau noir. Et tant mieux si ce phénomène apporte des valeurs aux gens : l'idée de lutte, de liberté et d'anarchie au sens Fais ce que tu veux. Crois en ce que tu es avant de te faire baiser la gueule. Ce sont les valeurs qu'on aime voir transportées par ce que l'on fait. Après, il y a tous les éléments musicaux sur lesquels il ne faut pas trop disserter.


Serge: Il y a eu aussi une connexion par rapport à plein de groupes que les gens ont pu découvrir. Sonic Youth ou Fugazi, des groupes d'où il se dégage suffisamment de personnalité pour que tu oublies un peu le classicisme ambiant.


Bertrand: Qu'il y a aussi chez nous ! (rires) (Serge) Le public a découvert plein de bons groupes américains ces trois dernières années et je pense que si les gens ont craqué sur notre disque, ce n'est pas par hasard non plus. Il y a des conjonctions mais on ne vient pas de naître ! Le fond des gens était déjà là. Nous ne sommes plus des inconnus en France. Tostaky n'était pas notre premier album.

Avez-vous l'impression d'avoir réveillé quelque chose dans le public ?

Si c'est le cas, ce serait une grande satisfaction !

Denis:Ce n'est pas la vie courante qui nous le prouve. On a plus de retours via les concerts et les gens qu'on rencontre sur les tournées que dans la vie de tous les jours. Tu n'es donc jamais complètement sûr de ce que tu veux faire passer et de la manière dont tu veux le faire afin que ce soit compris et que ça fonctionne.


Bertrand
: Parfois, ça ne marche pas du tout ou tu as l'impression que ce qui est primordial et essentiel est peut-être perdu. Mais d'un autre côté, tu n'as pas envie d'être un relou et de passer pour un démago en utilisant directement sur scène un discours qui pourrait être perçu comme des propos mégalos... On y fait très attention. Il ne faut pas en dire trop pour laisser aux gens un espace de liberté et de réflexion.


Denis: Il y a des moments où lever le poing devient presque humiliant parce que tu as les moyens de le faire. Et que toi, tu n'en chies pas autant dans ta vie comme les gens à qui tu dis "Mais putain, il faut faire quelque chose". C'est trop facile d'ouvrir ta gueule quand tu as les moyens de le faire. Souvent, on s'aperçoit qu'on s'adresse à des gens qui ont sur le dos la chape de plomb de la vie. Je reconnais qu'on a la facilité d'évoluer dans un milieu où on peut faire passer plus aisément des idées. Et parfois, lorsque tu te retrouves avec des potes qui n'évoluent pas dans la musique mais qui ont une activité "normale" et avec qui tu abordes ce genre de problème, tu te rends compte que tu leur parles comme si tu étais un étranger. Pour eux, tu vis sur une autre planète.


Bertrand: Mais en même temps, il faut lever le poing. Il faut surtout donner aux gens l'envie de le faire. On peut parler de politique et même de philosophie sans que ce soit inabordable et grossier. On se heurte beaucoup trop à une philosophie du "courbez le dos" ou, à l'extrême, de la réussite par des biais qui, nous, ne nous intéressent pas. Avec Noir Désir, on veut juste signifier autre chose mais avec des éléments concrets qui montrent, à travers notre course, que c'est possible. Ce que nous faisons, ce n'est ni plus ni moins qu'adopter la marge de manoeuvre d'une personne et d'un citoyen dans la société. Moi, je ressens surtout cette liberté en dehors des tournées, hors du contexte backstage-organisateurs en me baladant dans la rue lorsque je rencontre et que je discute avec des gens. Mais notre moyen de communication privilégié reste la musique, les textes et la manière dont le corps entre en jeu... Notre seul espoir, c'est que ça fasse du bien !

Ne crois-tu pas que les gens attendent qu'on se révolte pour eux car ils n'ont plus envie de le faire ? N'y a-t-il pas une nuance à établir ?

Bertrand: Il y a effectivement une nuance à établir. Les moments où tu baisses les bras sont souvent les moments où tu as l'impression que les gens ont envie que tu te révoltes pour eux. Auquel cas, ça n'a plus aucun intérêt parce que nous ne sommes pas des porte-parole. A partir de là, on tombe dans le spectacle. Nous ne sommes pas des naïfs. On sait quelle part de spectacle pur il subsiste. Mais si le spectacle est isolé dans sa fonction showbizz ou carrément situationniste, on peut alors parler d'industrie du spectacle, on peut faire crever l'être humain. C'est le plus gros problème de la société occidentale avec le commerce à outrance et le règne de l'argent. Le spectacle déshumanisé devient roi. Et si on n'arrive pas à poser des germes et qu'on nous en donne, qu'on engendre des révoltes permanentes au sens quasi-synonyme de la vie, de l'amour... Alors c'est perdu I Ce sont les jeux du cirque 1
Denis: Mais si les gens se foutent que tu entres dans ce jeu-là et que la logique s'accélère, tout ce que nous faisons ne sert plus à rien ! Alors là, public chéri mon amour, vous nous faîtes chier (rires).

Cette révolte, vous la perceviez déjà chez d'autres groupes avant de fonder Noir Désir ?

Bertrand: Heureusement et par des biais très différents les uns des autres ! Il n'y a pas que les Clash avec un discours politisé et explicite ! Situation qui peut également se transformer en cirque vertueux mais cirque néanmoins. Il n'y a pas que Fugazi qui eux, sont directement militants mais qui vont s'exprimer du fond d'eux-mêmes. Ce qui est essentiel si on ne veut pas tricher. Il faut aussi parler de la poésie qui fait partie des vraies valeurs. Beaucoup plus vraie et intemporelle que les trucs essentiellement réactifs qui n'existent que par des beuglements aux contours bien méchants pour faire fuir les flics. La notion de révolte dans le rock est primordiale. Cette flamme va passer par Lou Reed, Iggy Pop ou Kat Onoma où il n'y a pas la révolte directe mais une indépendance d'esprit et une beauté. Ce n'est pas forcément ce qu'on attend mais je n'attends pas qu'un groupe fasse le plus de bruit non plus. Pour ceux qui le font bien et avec de l'âme, je signe tout de suite ! Ceux qui le font pour faire les clowns, ils ne passeront pas. Un tricheur ne passera pas. Ou alors, il montre qu'il triche et c'est du second degré. C'est drôle car il donne les cartes du jeu. Sinon, c'est une enflure.

Pensez-vous que les repères, justes et utiles, de cet état d'esprit soient présents dans l'éducation ?

Probablement non.


Serge:
Par rapport à mon éducation, je peux dire que je n'adhérais pas à cet engagement politique clair des groupes. A quinze ans, je me faisais chier et je ne comprenais pas pourquoi mais je n'avais pas envie. Ou bien tu écoutes de la musique pour que ça te fasse du bien ou pour t'éclater.

On entre dans le vieux débat qui consiste à dire que le rock ne s'adresse qu'aux sens et pas assez à la raison ?

Bertrand: Mais les sens ne vont pas contre l'intelligence !


Frédéric:
C'est la notion de spectacle dont Bertrand parlait tout à l'heure. Le problème, c'est qu'on a tendance à évoquer le sens et la raison comme si on parlait de choses antinomiques. Pourquoi en serait-il ainsi ?


Bertrand: Je crois que c'est une attitude typiquement occidentale. C'est curieux mais une musique tribale ou primitive donc physique s'adresse autant à la raison alors qu'elle est avant tout sensitive et sauvage. Nous, on pense la musique même si on n'adopte pas une démarche intellectuelle. C'est d'abord le ventre et un esprit magique qui vont au-delà de la raison. La raison, telle que les Français la pratiquent ou les Allemands par rapport à une tradition philosophique, fout énormément de choses en l'air. Et la raison finira par être mise en cause. Car ça nous fera crever !


Serge: C'est bien de pouvoir équilibrer entre une musique qui dégage une certaine force et qui, en même temps, explique certaines choses. Je pense par exemple à IAM que j'écoute en ce moment. Je suis vraiment surpris par ce disque. En l'écoutant, je me dis que le gamin de quatorze ans qui ne pige pas forcément ce qui lui arrive et qui a la haine parce qu'il est coincé chez lui, va pouvoir être éclairé. Cet album va lui fournir un maximum d'indications pour le faire gamberger. Le discours d'IAM est très simple mais pas simpliste. Je leur dis bravo ! Ce sont vraiment des gens qui réfléchissent et qui donnent les bases pour réfléchir. Pas forcément en passant tout à la mitrailleuse.


Bertrand : Le problème du rap aux États-Unis, c'est qu'il pousse les gamins à prendre un flingue et à aller buter les gens. C'est une idée qui ne va pas très loin. Évidemment, à un moment, ça choque. C'est le trop-plein ! On commence à dire n'importe quoi. Les émeutes de Los Angeles ont fait réagir mais on ne peut pas s'en réjouir complètement à cause du manque de fond qui s'en dégage même si on a cassé du flic. Ces émeutes traduisaient du désespoir à l'état pur. Le désespoir est une énergie fantastique mais à condition de l'utiliser pour déboucher sur quelque chose. Je ne suis pas un optimiste. Mais bordel, il y a des choses intelligentes à dire et qui vont te faire vivre intensément ! Et dans l'éducation, on le dit rarement comme ça. On sépare la raison des sens. On sépare le plaisir du travail. Mais comment peut-on croire que le monde ne va pas toujours continuer ainsi ? On a trop créé de scissions antinaturelles chez les gens.

Lors de cette tournée, vous aviez adopté une démarche intéressante. Celle d'imposer des premières parties comme les Sbredded Ermines, les City Kids, les Dirty Hands ou les Burning Heads pour qu'ils profitent de cette tournée. Qu'en est-il aujourd'hui ?

C'était une chance pour eux comme c'était une chance pour nous de jouer ensemble. On leur permettait de le faire d'une façon généreuse et on en était fiers car ils pouvaient toucher un plus large public. Après, leur valeur et la chance interviennent. Ce n'est plus notre problème. Ça reste notre problème en tant qu'amis car on continue à les suivre en espérant qu'ils aillent plus loin et de pouvoir encore les aider s'il le faut mais on ne veut surtout pas les étouffer. C'est un problème qu'on rencontre. Il ne faut pas leur mettre une étiquette sur le dos parce qu'ils auront du mal à s'en détacher par la suite pour peu qu'ils soient un peu fades au niveau de la réaction avec les gens ou avec les médias.

Est-ce qu'avec ce live, Bernard Lenoir tient enfin sa Black Session ?

(Rires) Ça m'étonnerait qu'il la tienne car je doute qu'il la passe.

 

propos recueillis par J.C Panek L'INDIC N° 11

 

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